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Le Grand Mix : le développement durable en tête d'affiche par Johanna Seban & La FEDELIMA

Comment les salles de concerts et les festivals peuvent-ils s’emparer des enjeux du développement durable et intégrer ses quatre piliers - l’environnement, le social, l’économie et la culture – dans leur activité ? À Tourcoing, le Grand Mix a placé la thématique au cœur de son action, en participant avec dix autres partenaires français et belges au projet européen DEMO. Son équipe nous en raconte la genèse et la réalisation – où il est question de poubelles de tri, circuit court, limitation des déchets et parité sur scène.

Zéro déchet, recyclage, plan vélo, parité, égalité des chances, covoiturage, société inclusive, alimentation bio, achats responsables… Si toutes ces thématiques ont aujourd’hui la cote, force est de constater qu’elles n’ont pas toujours été au cœur des préoccupations, et qu’elles semblaient peu compatibles avec la réalité des salles de concerts et festivals. Pelouses et salles recouvertes de gobelets jetables, supports de communication (affiches, flyers) mange-papier, gâchis alimentaire dans les loges des artistes… Comment les acteurs du spectacle peuvent-ils s’emparer des enjeux du développement durable et viser l’écoresponsabilité ? C’est la question que se pose depuis quelques années l’équipe du Grand Mix, salle de Tourcoing qui souffle aujourd’hui sa 22e bougie et rouvrira ses portes en septembre après plusieurs mois de travaux de rénovation- elle organise en attendant ses concerts dans des salles voisines.

Le Grand Mix sous toutes ses coutures

Depuis 2016, la salle porte DEMO, un projet soutenu par l’Europe qui défend la durabilité et l’écologie dans le secteur de la musique et de ses opérateurs, auquel elle participe avec dix structures voisines de France et Belgique. Maeva Justice, chargée des projets européens pour le Grand Mix, en rappelle la genèse. « Du fait de notre proximité avec la Belgique et de notre situation sur un territoire transfrontalier, nous pouvons prétendre à répondre à des appels à projets lancés par l’Europe pour faire travailler les peuples entre eux. L’Europe veut que les gens se connaissent, travaillent, créent de la richesse et du bien-être humain ensemble. Or le Grand Mix travaillait depuis longtemps avec trois partenaires : la salle des 4 Écluses à Dunkerque et les salles Wilde Westen et 4AD en Belgique. » Pour DEMO, le cercle s’est élargi, accueillant notamment les festivals Dour et Cabaret Vert. « Ce sont d’abord les festivals qui se sont emparés de la cause du développement durable. C’est sur un temps limité, cela peut sembler plus “facile” que de s’astreindre en permanence à des pratiques vertueuses. Ensuite parce que chaque année, l’événement évolue. On peut essayer d’autres dispositifs. C’est plus compliqué avec les salles, une fois qu’elles sont bâties. » Le partenariat enfin, s’est étoffé avec l’arrivée d’acteurs spécialisés dans l’attractivité du territoire et le développement économique. « Notre argument a notamment été de dire que les Belges et les Français n’ont pas la même vision du développement durable. En Belgique ils sont très forts sur tout ce qui est environnemental. En France, on est plus avancé sur les questions de l’économie sociale et solidaire, les choses comme le bénévolat, la prévention auditive… »

Boris Colin, directeur du Grand Mix depuis 2007, rappelle que la salle était du reste déjà très active dans le volet social. « Sans faire du Zola, on est dans un territoire un peu difficile, avec beaucoup de jeunesse et de dynamisme, mais aussi beaucoup de chômage et de difficultés. L’action culturelle et la médiation sont dans l’ADN du Grand Mix au même titre que la programmation. On travaille avec les lycées, les collèges, les prisons et les hôpitaux. On a des projets de chorale pour les enfants et pour les personnes âgées. Demo nous a surtout fait progresser sur les aspects environnementaux du développement durable. »

Approuvé en 2016, le projet DEMO doit durer jusqu’à 2020 : quatre ans pour tester des initiatives, multiplier les expérimentations et échanger les bonnes pratiques. À la clef ? Un budget global de 3,6 millions alloué aux onze partenaires. « L’Europe ne donne pas une subvention, elle rembourse la moitié des factures acquittées en lien avec le projet, précise Maeva Justice. Il faut donc avoir de la trésorerie. » Le projet s’articule autour de trois axes : diagnostic commun, expérimentations et dissémination. Dans un premier temps, chaque partenaire a fait un état des lieux pour mesurer son empreinte carbone. « On a utilisé un écoscan pour traduire nos déchets, nos achats, notre consommation d’énergie ou encore les allers-retours des artistes et des publics via une enquête sur tablette. Avec les partenaires, on a partagé des questionnaires pour évaluer ces pratiques. Cela a permis à chacun de voir où il péchait le plus. »

Forts de ces constats, les équipes ont ensuite imaginé une série d’actions expérimentales et innovantes pour s’améliorer. L’équipe du Grand Mix a mis en place des poubelles de tri et créé une signalétique pour les usagers (publics, artistes, équipes). Pour le recyclage de ses déchets papier, elle a choisi de faire appel à Elise, une société qui emploie des personnes en situation de handicap. Pour l’alimentaire, elle a installé un compost et fait le choix du circuit court pour les achats afin de privilégier les producteurs locaux. « J’essaye d’éviter les contenants, ajoute Laure Prognon, en charge du catering. J’achète un maximum de choses en vrac. » Côté boisson, la salle a remplacé les bouteilles d’eau en plastique par une proposition de gourdes. Pour réduire sa consommation d’énergie, elle a choisi l’éclairage scénique en LED, et est passée chez Enercoop, un fournisseur d’électricité d’origine renouvelable. Surtout, l’équipe intègre désormais les questions du développement durable à chaque réunion afin que chacun réfléchisse à ce qu’il peut faire à son niveau. « Par exemple, on n’achète quasiment plus de Gaffer car notre régisseur Sylvain a mis en place un système qui fonctionne avec du scratch, que tu peux ensuite garder des années... La clé du développement durable, c’est que chacun soit concerné et puisse participer. »

Le Grand Mix a calculé son empreinte carbone

Pour limiter les achats, l’équipe s’applique à développer au maximum la mutualisation de matériel. « On peut prêter notre voiture électrique, des cendriers de poche ou encore des plaques de roulage pour les personnes à mobilité réduite, poursuit Maeva Justice. L’idée c’est d’acheter moins pour mutualiser. Les festivals, par exemple, se servent de certaines choses le temps d’un weekend et les laissent dormir le reste du temps… Sur notre site Internet, on est en train de construire un catalogue d’objets à prêter. » Enfin, parce que la non-discrimination est au cœur du développement durable, le projet a aussi donné naissance à des initiatives pour favoriser la parité. Julien Guillaume, programmateur du Grand Mix, a augmenté de façon significative le nombre de femmes parmi les artistes programmés. « On part de loin, et j’en assume une grande part de responsabilité. On entend souvent qu’on est seulement sur des choix artistiques dans cette profession, qu’il n’y a pas de quotas... Sauf que ça fait quinze ans que je travaille ici, et quinze ans qu’on arrive à 15% de filles sur scène, donc il faut passer à l’étape supérieure. Sinon dans cent ans on y sera toujours. Aujourd’hui, quand je programme un groupe, j’inclus la présence de femmes dans ma réflexion aux côtés des autres critères : qualité du groupe, nombre de personnes qu’il attirera, cachet, date du concert dans la semaine… À propositions d’intérêt égal, je vais favoriser une fille. » Résultat, ce trimestre, aidé aussi par la programmation du festival Les Femmes s’en mêlent, le Grand Mix est arrivé à 85% de filles sur scène en leader ou co-leader.

Le Grand Mix adopte une politique volontariste sur la question de la place des femmes pour infléchir leur sous-représentation

Le troisième axe du projet DEMO consiste à multiplier les actions pour encourager la diffusion de ces bonnes pratiques. Auprès des équipes, d’abord, à travers par exemple des ateliers de compostage pour tous les employés, des formations des bénévoles pour l’accueil des personnes en situation de handicap… Auprès du public également. « Sur les soirées électro, poursuit Maeva Justice, on fait venir des associations qui parlent des drogues. Elles rappellent qu’il faut boire par exemple. Nous, on donne de l’eau gratuite au bar… ». Dernière cible à sensibiliser, les artistes. « Les gens ont peur, car les artistes sont un peu sacrés, il ne faut pas les vexer… Mais le développement durable passe aussi par eux. Ils ont un rôle à jouer pour qu’il y ait moins de gâchis alimentaire dans les loges par exemple. Pour qu’ils acceptent de boire à la gourde et non pas dans des bouteilles en plastique. Et il faut sensibiliser les artistes sur le fait de ne pas jeter leur décor à la poubelle à la fin des tournées. »

(à gauche) L’équipe du Grand Mix qu suit une formation au compost / (à droite) Les gourdes utilisées par les artistes

Si tout le monde se réjouit des initiatives lancées ces dernières années, le temps a néanmoins permis de nuancer l’efficacité de certaines idées qui semblaient bonnes de prime abord. Parmi elles, les gobelets réutilisables mis en place pour remplacer les gobelets jetables, mais que le public rapporte souvent à la maison en souvenir. Résultat : davantage de plastique utilisé puisqu’il en faut beaucoup plus pour construire chaque gobelet. « Il va falloir qu’on privilégie des gobelets neutres, non siglés, pour arrêter d’en faire des goodies, préconise Boris Colin. Cela permettra aussi de se les prêter entre structures partenaires, donc d’en acheter moins. » Mêmes réserves concernant la voiture électrique, dont on sait qu’elle doit parcourir 200.000 km pour être rentable. « Ce à quoi on n’arrivera pas, reconnaît Maeva Justice. Mais lorsqu’on va chercher les artistes avec, ça a le mérite de les intriguer, ça les fait se poser des questions… » Rappelons enfin que le Grand Mix est usager d’un bâtiment municipal : les travaux de la salle ont donc été portés par la ville, dont le budget n’a pas permis la réalisation d’un bâtiment HQE, la création de panneaux solaires ou un système de recyclage de l’eau de pluie. « Le développement durable a un coût et demande souvent un investissement plus grand au départ, regrette Maeva Justice. » Enfin, la question d’intégrer les enjeux du développement durable au cœur des salles de concert ne fait pas toujours l’unanimité au sein des équipes. « Des partenaires se sont lancés dans des actions et certains salariés ont dit "ras-le-bol, je bosse dans une salle de concert, je fais pas du compost", sourit Maeva Justice. C’est comme l’interdiction de fumer, c’est pas très rock and roll et beaucoup de gens s’y opposaient au départ. Il faut simplement du temps pour que les mentalités changent... »

Les 11 partenaires DEMO sont :

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