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Construction du Quai M : les usager·ères au cœur du projet architectural par Johanna Seban & La FEDELIMA

En septembre 2022, le Quai M a ouvert ses portes à proximité de la gare de La Roche-sur-Yon. Ce nouveau lieu, qui prolonge l’histoire de l’association locale Fuzz’Yon, a bénéficié d’un chantier “ouvert, vivant et habité” : de l’écriture à la livraison du bâtiment, l’agence d’architecture aux manettes du projet n’a eu de cesse d’échanger avec les équipes de la salle et d’impliquer les habitant·es. Récit d’un dialogue vertueux.

C’est un bâtiment graphique dont la façade mêle bois, verre et béton. Situé à quelques mètres des voies de la gare de La Roche-sur-Yon, il perce le ciel vendéen avec son toit rouge en accordéon. Comme l’indique la grande enseigne qui orne sa façade, le vaste édifice héberge le Quai M. Ouverte il y a un an, cette salle de musiques actuelles (dont le nom fait référence à l’univers ferroviaire voisin et au mot “musique”) est gérée par l’association locale Fuzz’Yon. “Ce projet, je l’ai porté pendant 18 ans”, résume Benoît Benazet, directeur et programmateur artistique de la salle.

Retour en arrière. Avant le Quai M, l’association Fuzz’Yon gérait depuis 1988 une autre salle de la Roche-sur-Yon, située à quelques centaines de mètres (baptisée Fuzz’Yon également). “Le Fuzz’Yon avait pris place dans un bâtiment ayant déjà connu plusieurs vies, explique Benoît Benazet. Garage automobile, quincaillerie, hôtel des ventes…” Si la salle et sa programmation étaient appréciées par le public, le Fuzz’Yon ne disposait pas d’espace de convivialité pour boire un verre et souffrait d’une mauvaise insonorisation. Depuis 1999, l’association disposait en outre d’un second lieu (pour réunir ses studios de répétition), ce qui rendait difficilement lisible l’unité du projet artistique. “Pour toutes ces raisons, poursuit Benoît Benazet, lorsque je suis devenu directeur en 2004, on parlait déjà du besoin de construire un nouvel équipement.

Le Fuzz'Yon a accueilli son dernier concert en avril 2022 - © photos : David Fugère

Évoqué mais plusieurs fois repoussé, le projet a finalement été acté à la fin des années 2010 : un terrain vague proche de la gare a été retenu pour son emplacement. Commanditée par l’Agglomération de La Roche-sur-Yon, la réalisation du bâtiment a été confiée à l’agence d’architecture bordelaise Compagnie architecture, menée par Chloé Bodart et Jules Eymard. Si le Quai M, qui réunit désormais deux salles de spectacles (une de 874 et l’autre de 198 places) et cinq studios de répétition, a officiellement ouvert ses portes en septembre 2022, son chantier, qui a duré deux ans et demi (crise sanitaire comprise), a été dès le premier jour envisagé comme un chantier “ouvert, vivant et habité”, selon les méthodes de travail prônées par Compagnie architecture. “Dans notre agence, explique Chloé Bodart, on part du principe qu’il faut trois entités pour faire un projet. La maîtrise d’ouvrage tout d’abord, qui finance les travaux : ici l’agglomération de la Roche-sur-Yon. La maîtrise d'œuvre, ensuite, qui intègre les architectes et les bureaux d’études. La maîtrise d’usage, enfin, qui réunit les habitant·es ou les utilisateur·rices du futur bâtiment, c’est-à-dire ceux qui connaissent réellement les besoins.

De l’écriture du programme à la livraison du bâtiment, le chantier du Quai M a donc reposé sur un dialogue permanent entre l’agence d’architecture et les équipes de la salle.

La maîtrise d’usage permet qu’il y ait le moins d’erreurs possible. Fabriquer une salle de concert, ce n’est pas comme fabriquer une école : on est sur des flux et des fonctionnements particuliers, qu’il faut comprendre et intégrer avant de dessiner un projet

De l’écriture du programme à la livraison du bâtiment, le chantier du Quai M a donc reposé sur un dialogue permanent entre l’agence d’architecture et les équipes de la salle. Lors d’une première phase d’étude, de nombreuses réunions ont été organisées afin que les membres du futur Quai M exposent précisément leurs besoins. “L’idée était de prendre en compte les demandes de tous les usagers, poursuit Chloé Bodart, des services techniques aux musiciens en passant par les équipes de nettoyages. Cela permet de mieux penser l’articulation des espaces et le fonctionnement du bâtiment.” Cette méthode de travail a séduit d’emblée les équipes de la salle. “Dans beaucoup de projets architecturaux, la maîtrise d’usage n’est pas associée, regrette Benoît Benazet. Pourtant, ces échanges permettent qu’il y ait le moins d’erreurs possible. Fabriquer une salle de concert, ce n’est pas comme fabriquer une école : on est sur des flux et des fonctionnements particuliers, qu’il faut comprendre et intégrer avant de dessiner un projet.

La grande salle, le hall et les terrasses du Quai M © photos : David Durand & David Fugère
quand la salle a ouvert pour la première fois, je la connaissais déjà

Du traitement acoustique des studios au nombre d’entrées pour les tourbus des groupes, du choix des luminaires à la dimension des espaces de stockage, de la largeur des passerelles au-dessus de la scène, à la gestion des tireuses de bières, tout a été détaillé. “On est allés jusqu’à imaginer ensemble des organigrammes de clés, car toutes les clés n’ouvrent pas les mêmes pièces dans un lieu de musiques actuelles, détaille Mathieu Rouet, régisseur général. Le fait d’avoir été concertés était très enrichissant : on s’est tous sentis impliqués. Et quand la salle a ouvert pour la première fois, je la connaissais déjà.” Ces échanges ont en outre permis d’instaurer un dialogue de confiance entre l’architecte et l’équipe de la salle et de faire évoluer le projet en bonne intelligence. “La discussion s’est faite dans les deux sens, développe Benoît Benazet. L’agence d’architecture nous a par exemple convaincus d’inverser le positionnement des studios de répétition et du club. De notre côté, on a eu le dernier mot sur le positionnement d’un bar, dans la salle d’accueil et de sortie du public”.

Le club, le bar et l'une des loges du Quai M © photos : David Durand

Des outils ont aussi été imaginés par l’agence d’architecture pour rendre accessible le projet à ses futurs utilisateur·rices. “La maquette a joué un rôle très important, détaille Chloé Bodart. Nous l’avons conçue au fur et à mesure puis installée sur place, au sein même du chantier.” Celle-ci a plus tard servi de décor aux vidéastes Mizotte & Cabecou pour un film de présentation de la salle.

La maquette du Quai M © photo : Ivan Mathie

Une permanence de chantier a également été organisée : trois jeunes architectes ont successivement emménagé à La Roche-sur-Yon afin d’être présents sur place et faire le lien, au quotidien, entre architectes, ouvrier·ères, usager·es et… visiteur·ses. Les riverain·es, en effet, ont pu profiter de visites régulières du chantier.

Le chantier du Quai M © photos : David Fugère

Les scolaires, aussi, ont été impliqués. Jean-François Rousseau, professeur d’histoire-géographie du lycée voisin Pierre Mendès France, a piloté un projet de journal de chantier avec ses élèves : ceux·lles-ci se sont rendu·es sur place à plusieurs reprises pour documenter l’avancée des travaux. “Ce projet a été l’occasion pour eux de s’essayer au journalisme et de découvrir à la fois le fonctionnement d’une salle de concert et l’univers d’un chantier, explique l’enseignant. Une première pour la plupart d’entre eux.” Trois numéros du journal ont été publiés entre avril 2021 et juin 2022, diffusés à 3000 exemplaires. Leurs sommaires mêlent rencontres avec l’architecte, interview du maire de la ville, portraits des artisans mobilisés… Plus tard, les élèves ont pu découvrir la salle achevée lors d’un concert d’Adé.

Le chantier a été un formidable terrain d'expérimentation
Le journal de chantier produit par les élèves du lycée voisin

Le chantier a été un formidable terrain d'expérimentation, résume Estelle Marie, responsable de l’action culturelle du Quai M. On a par exemple organisé des visites avec des élèves d’établissements professionnels, qui ont pu découvrir les métiers qu’ils feront dans le futur. On a aussi convié des groupes de personnes en situation de handicap : ces visites nous ont permis d’améliorer la signalétique de la salle pour les personnes malvoyantes. Ou d’imaginer un plan thermogonflé de la salle, (soit un plan tactile en relief, ndlr.), qui est à disposition des visiteur·ses aujourd’hui.” Les visites qu’elle organise aujourd’hui sont riches des enseignements du chantier. “Je ne présente plus seulement le monde de la musique et le fonctionnement d’une Smac. Je décrypte aussi le bâtiment, la position de ses éléments techniques, les bandes de guidage au sol…”. Quoi de mieux, enfin, pour faire vivre le chantier d’une salle de concert, que d’en organiser un, pendant les travaux ? Un an avant l’ouverture officielle, le 15 septembre 2021, une fanfare itinérante a relié l’ancien bâtiment de Fuzz’Yon à la future salle principale du Quai M (non achevée à l’époque), pour y donner un concert face à un public restreint (crise sanitaire oblige). La performance fut un moment fort et émouvant pour tou·tes les participant·es.

Un an avant l’ouverture officielle, le 15 septembre 2021, une fanfare itinérante a relié l’ancien bâtiment de Fuzz’Yon à la future salle principale du Quai M © photos David Fugère

Un an après l’ouverture, les équipes du Quai M sont unanimes : les méthodes de travail choisies ont été fructueuses. “Concrètement, la maîtrise d’usage a permis de gagner du temps sur plein de décisions, conclut Benoît Benazet. Mais ça aussi été une expérience humaine très forte et une vraie rencontre avec l’architecte.

Baptisé Ecouter, assembler, un ouvrage signé Edith Hallauer et Julia Vallvé retrace d’ailleurs cette aventure collective et le processus de travail mis en œuvre, revenant sur la permanence de chantier, ses rituels, ses outils, sa maquette et ses intervenants…. “La maîtrise d’usage, conclut l’architecte Chloé Bodart, c’est du temps et du travail en plus. Cela ajoute un interlocuteur dans la boucle et donc la prise en compte de contraintes supplémentaires. Mais je ne conçois pas qu’on puisse imaginer un projet sans impliquer les gens qui vont quotidiennement l’utiliser. L’enjeu, enfin, est écologique : lorsqu’on fait un bâtiment efficace et adapté aux besoins, on évite des travaux supplémentaires pour la suite.

Ecouter, assembler, un ouvrage signé Edith Hallauer et Julia Vallvé, retrace cette aventure collective